Une expérience imaginée comme une grande première. Ce qu’on n’avait encore jamais fait, de se réunir dans une bibliothèque pour saisir collectivement le texte inédit d’une romancière toujours au bord de l’oubli. Cela se passe le 11 novembre 2017, à la Maison de la Poésie à Paris. Le Gang du Roman Poétique, fraîchement reconstitué, révèle On ne vit que deux fois au public. On dispose un tapis, quelques lampes dans les coins, des fauteuils, des coussins. Sur des tables, sur des pupitres, les romans, les exemplaires Gallimard, les exemplaires Léo Scheer, les exemplaires du Nouvel Attila, une copie du manuscrit, des romans inédits. Hélène Bessette est là, dans l’atmosphère feutrée. Au fond de la bibliothèque, un ordinateur, une imprimante. Des fruits. De l’eau.
La belle surprise de constater que dès l’horaire d’ouverture, tellement se présentent à l’entrée, sans discontinuer, que nous sommes obligés de faire des listes d’attente. Nous le savons déjà : tout le monde n’entrera pas, ni pour voir ce qui s’y passe, ni pour copier son propre extrait qu’on rêvait d’emporter. Tout le monde ne restera pas, de 15 heures à la dernière page.
Alors, il faudra relater.
Claudine Hunault prend la parole. Elle s’apprête à lire en continu, huit heures durant, dans une double écoute, du texte et de l’autre, qui est là, à qui elle donne à entendre les phrases, qui les saisit et entre ainsi dans l’écriture d’Hélène Bessette. Une expérience inédite d’actrice.
Hélène Bessette, romancière, qui est apparue en 1953, a disparu en 1973, nous est revenue de 2006 à 2012, et qui réapparaît depuis mai 2017.
Le temps de la lecture s’installe. Le temps de la saisie aussi. Nos repères se métamorphosent. On pense d’abord qu’il faudrait aller plus vite, mais le rythme s’adaptant à celle ou celui qui écrit, finalement, ralentit la lecture se faisant comme on ne l’a jamais vécue, ni en parcourant un livre, ni en lisant à haute voix à un public attentif. Lecture précieuse. On ne voudrait pas se tromper, ni de mot, ni de sens. Hélène Bessette y avait sans doute pensé, car elle répète ce qui doit se répéter, pour mieux mémoriser. Le public entre, sort, circule. On lit, donc. On écoute. On écrit. On pense être « de l’extérieur » lorsque, juste, nous regardons faire, mais nous sommes tous inclus, par notre seule présence.
On entre avec la romancière dans la manière qu’elle a de se raconter, timidement. C’est un Petit Livre sans prétention, qui en dira beaucoup. On le saura plus tard. D’abord, Hélène Bessette rappelle comment se fait la rencontre avec les premiers défenseurs de son œuvre, un soutien dont l’histoire va parcourir vingt ans, jusqu’à la mort de Queneau.
Les faits marquants d’une vie défilent. Un mariage, deux fils, un divorce, un procès qui coûte toute une vie pour avoir utiliser un patronyme une première fois. La sentence, terrifiante. On s’était trompé. On avait mal analysé. Alors, Hélène Bessette évoque elle-même ses livres, ce qu’ils ont vécu, comment elle les a pensés, puis écrits. Le public constate qu’ils sont là, exposés, parmi nous. Peu à peu, ils circulent, en silence. On les feuillette. Des personnes en copient des extraits sur un cahier.
Le texte que nous entendons nous révèle que tous ces livres n’ont quasiment pas existé, à part, peut-être, le premier, avec cette mention singulière : « Enfin du nouveau ». Ils n’étaient pas visibles, ni avec une jaquette qui aurait annoncé qu’un tel ou un tel avait des voix pour un prix littéraire, ni dans les vitrines, ni même dans les librairies. Il ne reste qu’une mystérieuse question. Que sont-ils devenus ? Et on les voit, là. Lili pleure, dont Hélène Bessette parle tant. La lecture continue. Chaque roman apparaît. MaternA, Vingt minutes de silence, Les Petites Lecocq, La Tour, La Route bleue. C’est donc bien de cela dont il est question, principalement. D’une œuvre. De comment elle s’écrit dans la lenteur. De comment un roman se recommence lorsqu’une version est refusée. De comment un manuscrit trop important se divise en trois pour tenter trois chemins d’aventures. De comment le hasard des publications confronte chez un même auteur la littérature-lecture et la littérature expérimentale. Les livres deviennent des personnages. Ils prennent vie. On empêche qu’ils soient lus. Jusqu’à fausser l’image de la romancière. « C’est ça, Hélène Bessette ? ».
Oui, c’est ça, Hélène Bessette. Le livre qu’on a raté. La phrase qu’on n’a pas lue. L’événement qui nous a échappé. La durée, impressionnante, qui s’étale peu à peu, entre deux publications, puis les livres plantés comme des stèles, des titres qui disparaissent, des romans que personne n’a jamais lus. Elle ne fait plus qu’évoquer. C’était ce qu’elle avait voulu faire, puis ce qu’elle avait fait. On ne sait plus. Elle nous explique. Nous comprenons une première vie, une seconde vie, que nous donnons naissance à la troisième. Nous voyons sur une même table Lili pleure, Le Bonheur de la nuit, Si, Garance Rose. Les trois vies évoquées, sont là, sous nos yeux. On feuillette les romans inédits, la biographie. On se dit : il faut continuer.
À lui donner vie.
À la donner à lire.
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